Malgré la crise, les jeunes chercheurs en finance restent très convoités sur le marché du travail
Ce jeudi 18 décembre, au Job market (marché de l'emploi) pour chercheurs en finance, organisé à Paris par l'Institut Europlace de finance (EIF), Fadila Palmer
est contente. Cette jeune femme, PDG de Lunalogic, une société de
conseil et de services spécialisée dans la finance de marché et la
gestion d'actifs, est venue pour recruter de jeunes thésards. Elle est
enchantée de sa moisson. "Sur dix rendez-vous, nous avons identifié quatre très bons candidats", se réjouit-elle.
A côté d'elle, l'un de ses collaborateurs, diplômé de l'Ecole Normale
supérieure de la rue d'Ulm, acquiesce. Ses clients sont la plupart des
grandes banques de la place, qui lui confient des missions pour créer
des modèles mathématiques, définir les prix de produits dérivés, en
évaluer les risques, ou pour développer les systèmes d'information.
Les modèles mathématiques ont beau avoir mauvaise presse, Mme Palmer n'en a cure. Certains de ses clients, comme la banque Calyon, ont certes arrêté des projets, "mais ils ont gardé (ses)
consultants pour les faire travailler sur d'autres sujets". Son
entreprise emploie une cinquantaine de consultants, auxquels elle
demande d'être non seulement excellents en mathématiques, mais aussi de
connaître les produits financiers complexes et l'informatique.
Les
diplômés de grandes écoles (Centrale Paris, les Mines, les Ponts,
l'Ensimag) qui ont fait des stages ou suivi une formation en alternance
sont des candidats de choix. "Nous recrutons deux à trois consultants par mois, car les meilleurs sont happés par les banques", explique Mme Palmer. Depuis la création de sa société, en 1999, elle a recruté 150 personnes. "Nous leur mettons le pied à l'étrier",
précise-t-elle pour tenter ceux que la rémunération proposée - environ
50 000 euros annuels - dissuaderait. Même besoin au stand voisin, où Virginie Valibus,
directrice des ressources humaines de Riskalis, une société de conseil
spécialisée dans la gestion des risques, cherche des débutants ou de
jeunes thésards. "Plus que l'école, nous regardons le sujet de thèse, les publications", affirme-t-elle.
Cette année leur est particulièrement propice. Les grands
établissements financiers ne sont pas venus leur faire de l'ombre. A
part Axa, aucune compagnie d'assurances et aucune banque n'a souhaité
participer au Job market.
En revanche, les centres de recherche académique ont des postes à pourvoir. "Il
faut repenser la régulation ; c'est un énorme chantier. La compétence
des chercheurs est indispensable, et, dans ce domaine, les Français
sont très réputés", explique Pierre-André Chiappori, directeur du programme doctoral de l'université Columbia de New York.
"Il n'y a pas que la finance de marché !, ajoute Ivar Ekeland, professeur d'économie mathématique à l'université de Colombie britannique (Canada). Il faut aussi gérer le pétrole et les autres ressources non renouvelables de la planète." Elyès Jouini, directeur scientifique d'EIF et vice-président de l'université Paris-Dauphine, relativise : "Ceux
qui ont rajouté une couche de finance à un cursus d'ingénieur ne
trouveront plus de job mirobolant. Mais les docteurs en finance n'ont
aucune inquiétude à avoir. Même si les modèles sont devenus des
victimes expiatoires. Car, au contraire, on a besoin de mieux
comprendre."
"Les excès ont été commis par ceux qui ont
manqué de distance par rapport aux modèles. Il faut donc au contraire
plus de chercheurs. Dans le monde académique, mais aussi dans le monde
financier", plaide-t-il. "Les économistes ont un rôle important à jouer pour établir une régulation plus solide, sans être un carcan", ajoute Jean Tirole, directeur scientifique de l'Institut d'économie industrielle (IDEI) de Toulouse.
Pour Nicole El-Karoui, professeur de mathématiques à l'université Paris-VI, "il
faut éduquer l'ensemble du management aux limites des modèles, à
l'analyse des risques, car quand un secteur affiche une rentabilité
nettement supérieure au reste, les effets sont toujours les mêmes : on
investit de plus en plus et on ne maintient pas de regard critique sur
l'activité".
Moralité : avec la crise, chercheurs en finance et enseignants ont encore plus de pain sur la planche.
Annie Kahn , Le Monde 20/12/2008